Dans un monde où la démocratie recule, les libertés fondamentales de réunion et d’association sont de plus en plus bafouées. Enquête sur les stratégies des régimes autoritaires pour museler la contestation et les résistances qui s’organisent.
L’érosion progressive des libertés collectives
Les régimes autoritaires ont bien compris l’importance des droits de réunion et d’association comme piliers de la démocratie. Leur stratégie consiste souvent à grignoter ces libertés par petites touches, rendant leur exercice de plus en plus difficile sans les interdire formellement. Ainsi, en Russie, la loi sur les « agents de l’étranger » permet de stigmatiser les ONG recevant des financements internationaux. En Turquie, les manifestations sont systématiquement interdites ou réprimées sous divers prétextes sécuritaires.
Cette érosion s’accompagne d’un arsenal législatif toujours plus contraignant : obligation de déclaration préalable, restrictions sur les lieux et horaires, sanctions pénales dissuasives. L’objectif est de décourager toute velléité de rassemblement ou d’organisation collective. Dans certains pays comme l’Égypte, la simple participation à une manifestation non autorisée peut valoir plusieurs années de prison.
Le contrôle numérique, nouvelle arme des autocrates
Les nouvelles technologies offrent aux régimes autoritaires des moyens de surveillance et de répression inédits. Les réseaux sociaux et applications de messagerie sont étroitement surveillés pour identifier et neutraliser toute tentative de mobilisation. En Chine, l’application WeChat permet un contrôle quasi-total des communications. Les autorités n’hésitent pas à couper l’accès à internet lors de manifestations, comme récemment en Iran.
La reconnaissance faciale est de plus en plus utilisée pour identifier les manifestants, y compris rétroactivement. En Biélorussie, cette technologie a permis d’arrêter des milliers d’opposants après les manifestations de 2020. Les drones sont aussi largement déployés pour surveiller les rassemblements, créant un climat d’intimidation permanente.
La criminalisation croissante des mouvements sociaux
Pour justifier la répression, de nombreux régimes s’efforcent de présenter les mouvements contestataires comme des menaces à l’ordre public, voire des entreprises terroristes. En Inde, les manifestations paysannes de 2020-2021 ont ainsi été qualifiées d’actions « anti-nationales ». Cette rhétorique permet de légitimer l’usage de la force et l’arrestation des leaders.
La judiciarisation est une autre tactique courante : poursuites abusives, procès-fleuves, amendes exorbitantes visent à épuiser financièrement et moralement les opposants. Au Venezuela, des centaines de manifestants croupissent en prison depuis des années sans jugement. Cette criminalisation touche particulièrement les syndicats, piliers historiques de la contestation sociale.
L’instrumentalisation de la pandémie pour restreindre les libertés
La crise du Covid-19 a fourni à de nombreux régimes un prétexte idéal pour restreindre davantage les libertés de réunion et d’association. Des mesures présentées comme sanitaires ont souvent été détournées à des fins politiques. En Hongrie, l’état d’urgence a permis au gouvernement de gouverner par décrets et de criminaliser la « désinformation ».
Même dans des démocraties comme la France, certaines restrictions ont suscité des inquiétudes quant à leur proportionnalité et leur pérennisation. La pandémie a ainsi accéléré une tendance globale au recul des libertés publiques, y compris dans des pays jusqu’ici considérés comme des modèles démocratiques.
Les résistances qui s’organisent face à la répression
Face à ces attaques, la société civile ne reste pas passive. De nouvelles formes de mobilisation émergent pour contourner la répression. Les manifestations éclair ou les chaînes humaines permettent d’éviter les arrestations massives. En Biélorussie ou à Hong Kong, les manifestants ont développé des tactiques de mobilisation décentralisée via les réseaux sociaux.
Le recours au droit international est une autre stratégie. Des ONG comme Amnesty International ou Human Rights Watch documentent les violations et saisissent les instances internationales. La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi condamné à plusieurs reprises la Russie pour des atteintes à la liberté de réunion.
La solidarité internationale joue aussi un rôle crucial. Les diasporas relaient les revendications à l’étranger, tandis que des campagnes de soutien s’organisent via les réseaux sociaux. Cette pression internationale peut parfois infléchir la position des régimes les plus répressifs.
Vers un nouveau paradigme des droits collectifs ?
Face à ces défis, certains juristes et militants plaident pour un renforcement du cadre juridique international protégeant les libertés de réunion et d’association. Il s’agirait notamment de mieux encadrer l’usage des nouvelles technologies de surveillance et de réaffirmer le caractère fondamental de ces droits, y compris en période de crise.
D’autres voix appellent à repenser ces droits à l’ère numérique. Le droit de manifester devrait ainsi s’étendre aux espaces virtuels, de plus en plus centraux dans la vie démocratique. La protection des données personnelles devient un enjeu crucial pour garantir la liberté d’association.
Enfin, le combat pour ces libertés s’inscrit dans une lutte plus large pour la démocratie et l’État de droit. Il implique de renforcer les contre-pouvoirs, l’indépendance de la justice et la liberté de la presse, sans lesquels les droits de réunion et d’association ne peuvent s’exercer pleinement.
Dans un contexte mondial marqué par la montée des autoritarismes, la défense des libertés de réunion et d’association s’impose comme un enjeu majeur. Ces droits, piliers de toute démocratie vivante, font face à des menaces croissantes et multiformes. Leur préservation nécessite une vigilance constante et des stratégies innovantes, à l’heure où le combat pour la liberté se joue autant dans la rue que dans l’espace numérique.