En avril 2016, après des houleux débats au sein des deux Assemblées parlementaires françaises, la loi sur la pénalisation des clients des prostituées a été adoptée. Elle continue tout de même de diviser les opinions, même dans la plus haute sphère de la société française. Et à l’heure de faire le bilan de ses 5 premières années d’application, il y a de quoi comprendre les controverses qui l’entourent.
Insuffisance de financement et de considération politique
Cette loi a-t-elle réussie à « donner de perspectives » aux personnes prostituées comme ses défenseurs l’attendaient ? Pour répondre à cette question, il faudra revoir le rapport émis en 2021 par la délégation sénatoriale aux droits des femmes qui s’est chargé de faire le bilan des 5 premières années d’applications du texte. Les témoignages et déclarations des associations, les magistrats et les commissaires qu’ils ont consultés leur ont obligé à répondre par non à cette question.
Pour ce qui est du pourquoi, deux raisons majeures sont évoquées :
- L’insuffisance de moyens financiers : Le financement du Mouvement du Nid, une association ayant pour mission l’accompagnement des prostituées dans leur processus de reconversion professionnel, ne leur permettait, par exemple, d’accompagner plus de 568 personnes durant ces 5 ans.
- Le manque de considération politique : cette raison évoquée par la procureur générale à la Cour d’appel de Paris se manifeste notamment par des moyens plus réduits accordés à la lutte contre le proxénétisme par rapport au trafic des stupéfiants.
88% des prostituées contre
Les politiques ne sont cependant pas les seuls à blâmer dans cet « échec » de la loi du 13 avril 2016 contre le système prostitutionnel. Les acteurs du monde de la prostitution y ont également joué un important rôle, à commencer par les prostituées elles-mêmes. 88% d’entre elles sont en effet contre la disposition prévoyant une amende de 1500 euros pour les individus ayant recours au service des prostituées. Vous aurez plus de détails à ce propos dans un article dédié à ce texte disponible sur www.droitsetprostitution.fr.
On comprend donc le rejet de cette disposition par deux fois par les sénateurs durant les navettes parlementaires ayant précédé l’adoption de cette loi. Le mot de la fin appartient cependant aux députés. Ainsi, bien qu’elles soient considérées comme des victimes de violences par cette disposition légale, les prostituées voient en elle une manière de supprimer totalement ce qui est, pour elles, un gagne-pain. Elles deviennent ainsi moins coopératives même dans le cadre d’une enquête relative à des affaires de proxénétisme. Et quand il n’y a eu que 1 300 « clients » verbalisés par an ces 5 dernières années, on peut conclure qu’on est encore loin du compte.
Quid de la prostitution des mineurs
Cela ne veut cependant pas dire que la nouvelle loi a été totalement inutile. En effet, les moments de verbalisation des clients constituaient toujours des bonnes occasions pour la police d’obtenir des informations précieuses sur un proxénète ou un réseau de proxénétisme. Le commissaire de police Elvire Arrighi déplore cependant la difficulté croissante de l’accès aux victimes, qui se font de plus en plus prostituées dans l’espace privé. Et cela compromet la lutte pour enrayer le fléau de prostitution des mineurs, d’autant plus que les réseaux sociaux facilitent leurs recrutements par les proxénètes.
Cela ne veut cependant pas dire qu’il faut abandonner cette loi selon les acteurs qui s’assurent de sa mise en application. Ils veulent seulement que les pouvoirs publics accompagnent leur volonté par des actes en s’y impliquant totalement dans les années à venir. Le législateur pourra, de son côté, se servir des témoignages et des déclarations de ces acteurs pour procéder, si nécessaire, à des ajustements du texte.
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